Augustin et les fins du monde de son temps 

Jean Pierre Laporte, historien du haut Moyen-âge. Animateur du site tabbourt.com (Bibliographie de l'Afrique du Nord antique et médiévale)

 

Né en 354, mort en 430, saint-Augustin a vécu deux mutations fondamentales du monde antique, qui peuvent s’analyser chacune comme la fin d’un monde, non pas instantanée, mais dans la durée. La première est le remplacement du paganisme par le christianisme, la seconde est l’effondrement de l’empire Romain occidental sous les coups d’une série d’invasions barbares.

 

A - Le remplacement du paganisme par le christianisme

 

On cite souvent l’édit de Milan par Constantin et Licinius en 313 comme la date du remplacement du paganisme par le christianisme. En fait, cette mutation commence en 311 avec un édit de Galère sur son lit de mort confirmé par Constantin et Licinius en 313 dans ce que l’on appelle l’édit dit de Milan, qui était à l’origine un édit de tolérance générale. Mais, dès la fin du règne de Constantin, la tolérance se mua en mépris et parfois même en persécution des païens.

 

Les persécutions, d’ampleur et d’intensité variable, avec parfois des retours en arrière comme sous Julien (361-363), se présentent comme un étau qui se referme progressivement, avec plusieurs stades principaux :

 

– l’interdiction des sacrifices (341, 353, 356, 357)

 

– la mise à l’écart et parfois la destruction des statues

 

– la fermeture autoritaire des temples (356-357),

 

- une véritable séparation de l’Église (païenne) et de l’État sous Gratien (367-383)

 

– l’interdiction de paganisme (391)

 

– la destruction des temples (dates diverses, 399, après 401, etc.)

 

Chacun de ces stades dura longtemps. Les processus sont bien documentés par la législation impériale recueillie notamment dans le code Théodosien. Une bonne part de ces lois répondait à des questions locales et n’était pas toujours de portée générale. Parfois, elles suivaient les besoins et ne les précédaient pas, enfin elles n’étaient pas appliquées partout avec zèle, parfois bien au contraire. Ceci n’alla pas sans révoltes locales, sans protestations écrites (comme celle de Libanius), sans pauses dans la pression et sans retours en arrière temporaires.

 

L’archéologie fournit enfin une source méconnue, même si elle commence à être bien documentée en Europe occidentale, compte tenu de la densité et de la qualité des fouilles archéologiques récentes. Le réexamen des fouilles anciennes en Afrique du Nord peut parfois amener à des interprétations nouvelles fort instructives. On en verra des exemples précis.

 

B -L’effondrement de l’empire Romain occidental

 

L’effondrement de l’empire Romain occidental est dû non pas à la progression du christianisme comme le prétendirent les derniers païens, mais à la pression croissante, puis aux vagues d’invasion des tribus germaniques venues du nord-est de l’Europe avec leur cortège de destructions, et enfin leur installation à l’intérieur même des provinces romaines. Dès la seconde moitié du troisième siècle, l’entretien de l’armée entraîna des besoins budgétaires énormes, et donc une pression fiscale telle que les campagnes, les particuliers et les cités, et les provinces furent peu à peu ruinées. Lorsque le trésor public fut lui-même exsangue, il fallut recourir à des expédients pratiques à court terme mais dramatiques à long terme. L’empereur installa dans l’empire des fédérés chargés de défendre les frontières. En théorie soumis, ils se comportèrent parfois en maîtres dès le milieu du quatrième siècle et plus encore au cinquième.

 

La phraséologie impériale subsista, en recouvrant des réalités totalement nouvelles et fort affaiblies. Lorsqu’en 476, Odoacre déposa le jeune Romulus Augustule et renvoya à Constantinople les insignes impériaux de l’empire d’Occident, celui-ci agonisait en fait depuis longtemps, dès avant la mort d’Augustin dans Hippone assiégée par les Vandales en 430, et surtout après 439, année de la prise de Carthage par Genséric.

 

C’est donc un écheveau complexe de faits, mélanges de causes et de conséquences de toutes sortes qu’il convient de prendre en compte. Outre les textes, déjà bien explorés, mais qui demandent à l’être encore, ces deux fins du monde, à la fois distinctes et liées, peuvent maintenant être documentées par la réévaluation de découvertes archéologiques anciennes. Nous en verrons des exemples précis en Tunisie et en Algérie.


Bibliographie :

La bibliographie récente est pléthorique. Nous contenterons ici de donner quelques indications sur trois ouvrages qui nous paraissent  énoncer l’essentiel dans une version moderne :

 

Chuvin P., Les derniers païens, Paris, Belles Lettres, 1990 ;

 

Van Andringa W. éd., La fin des dieux, « Gallia, 71, 1, 2014.

 

De Jaeghere M., Les derniers jours. La fin de l’Empire romain d’Occident, Paris, Perrin, 2014, 798 p.

 

Éléments biographiques :

Jean-Pierre Laporte, né en 1944, ancien assistant au Service des Antiquités de l’Algérie (1969-1971), chargé d’un inventaire archéologique de la Kabylie, il y a un demi siècle, n’a jamais cessé depuis de travailler sur la Kabylie, puis l’ensemble du tell algérien, et enfin sur la Tunisie. Il a produit pour l’instant environ 250 articles sur l’Afrique du Nord (y compris les articles en cours d’impression) et anime le site www.tabbourt.com bien connu des étudiants.